GT 2 : MONTESQUIEU : De l’esprit des lois, “De l’esclavage des nègres”

 

Œuvre maîtresse : 600 pages ; essai judiciaire, allure rébarbative.

Article “De l’esclavage des nègres” : exception : texte clair sur l’esclavage, mais Montesquieu ne prend pas partie. Il adopte une forme ironique, mais concrète. Il fait semblant de défendre la thèse esclavagiste. C’est un plaidoyer indirect pour l’abolition de l’esclavage.

C’est un texte plus célèbre que l’article torture.

 

I) La reprise des arguments des esclavagistes :

Reprise annoncée dès le début du texte

         1.1) L’argumentation esclavagiste :

Aucun des arguments présentés par Montesquieu n’est inventé.

Texte divisé en 9 § (9 arguments présentés par les esclavagistes)

a) Les arguments fondés sur la “raison”

Esclavage légitimé de façon rationnelle, expliqué.

Logique économique : raison sociale, raison économique.

§ 1 : esclavage expliqué.

§ 2 : esclavage expliqué par le rendement.

Massacres, maladies, intervention du frère Bartholomé de Las Casas (a défendu les indiens au XVIe) voir texte “La controverse de Valladolid”

Recours des Européens aux esclaves d’Afrique.

b) Les arguments fondés sur le “sentiment” (sur les préjugés racistes)

   

        - Préjugés racistes : rejet des “nègres” en fonction de leur physique (3e §)

Il dénie aux noirs la qualité d’homme.

Si … que : subordonnée de conséquence.

Leur laideur ne permet pas qu’on les plaigne. Corrélation entre apparence, couleur et la couleur symbolique de leurs âmes.

Corps noir -> âme noire -> on ne peut pas les plaindre.

Préjugé repris au 4e §

Aux préjugés racistes s’ajoute l’ébauche d’une considération religieuse, reprise, étendue, développée dans le 8e §

5e § : 5e et 6e argument : l’esclavagiste, l’avocat des esclavagistes essaie de fonder le préjugé (exclusion des nègres) raciste dans l’espace et le temps.

Argument d’autorité (6e §)

Assimilation de l’exclusion des noirs au rejet des roux en Égypte dans l’Antiquité.

 

       - Préjugé ethnocentriste 7e et 8e §, 7e et 8e arguments.

Les noirs n’ont pas de sens commun car ils ne partagent pas les mêmes valeurs que les Européens.

Leurs valeurs sont contestées.

Le locuteur considère ses propres valeurs comme des valeurs absolues, des valeurs de référence, ce qui va à l’encontre de la relativité des civilisations, soutenue par Montaigne au XVIe s.

 

      - Préjugé monarchiste, politique : 9e §, 9e argument.

Suppose une foi dans la monarchie. Régime politique de référence.

 

II) a dénonciation de la thèse esclavagiste :

         2.1) Sur le fond :

Montesquieu amène le lecteur à considérer les arguments esclavagistes :

a)     Comme odieux :

- Faire passer le profit avant toute considération humaniste (“le sucre serait trop cher…”)

- “L’argument d’autorité” concernant la persécution des roux souligne la bêtise et la cruauté d’une permission de maltraiter en raison du physique.

     b) De fait, ces arguments, malgré une apparence logique, ne peuvent être fondés sur la raison.

- Disproportion entre la cause (“Un nez si écrasé”) et la conséquence (“qu’on ne peut le plaindre”) : où est la logique ?

- Ainsi, plusieurs arguments racistes sont à double tranchant : il suffirait de remplacer “noirs” par “blanc”, “écrasé” par “pointu” et souligner la preuve de l’absence de “sens commun” en montrant que les occidentaux “font cas de l’or”, pour obtenir un raisonnement inverse, ni plus ni moins absurde.

- Enfin, le raisonnement qui sous tend l’argument est faux. C’est un syllogisme dont la résultante est erronée.

1.     Les chrétiens rendent les noirs esclaves

2.     Or les chrétiens ne peuvent pas mettre en esclavage des hommes

3.     Donc les noirs ne sont pas des hommes. (proposition fausse).

 

Résultante sensée : les chrétiens n’agissent pas en véritables chrétiens. (La proposition 2 se comprend, car historiquement les premiers chrétiens à Rome étaient des esclaves.)

 

 De même si “nos princes” n’interviennent pas, ce n’est pas parce que l’injustice est minime, mais bien parce qu’ils se moquent de “la miséricorde et de la pitié”.

 

         2.2) Dans la forme :

Montesquieu donne des signes tels que ces arguments doivent être contestés.

a) L’évidence suspecte :

Présenter des arguments avec un tel excès d’objectivité (“On”, “une preuve que”, “il est impossible”) ans soulever la moindre objection, ni présenter la moindre concession, n’apparaît pas sérieux.

b) De plus, les arguments racistes se répètent sous plusieurs formes, et ne forment pas une argumentation (aucune liaison, aucune hiérarchisation des arguments), mais une liste d’arguments, ou plutôt une liste de mauvaises raisons qui pourraient se résumer en une seule : “La raison du plus fort est toujours la meilleure”, qui n’est qu’un constat de la volonté de domination.

c) L’ objectivité est rompue par des points d’ironie :

- Ils “ont dû exterminer” (Décalage entre le devoir et l’acte de massacrer à grande échelle. Exterminer : sens fort et très négatif.)

- De “petits esprits”, pour désigner les philosophes qui commençaient à contester le fondement de l’esclavage.

- Pourquoi les princes seraient ils dans la bonne voie, eux qui font “tant de conventions inutiles”. L’esclavagiste montre ainsi qu’il se moque du droit. Il s’agit d’un trait de satire directe, visant à la fois les esclavagistes et les princes.

- “Il est presque impossible” : l’insertion de l’adverbe “presque” détruit le ton péremptoire amené par “impossible”.

d) Le dernier paragraphe adopte un ton plus amer, la phrase gagne de l’ampleur et l’indignation éclate, si bien que le lecteur attentif est fixé sur la signification du supposé “soutien” apporté par Montesquieu à la thèse esclavagiste.

 

Conclusion : C’est un morceau célèbre, mais ambigu, qui pourrait hâtivement être pris à contresens. Il est efficace pour peu que l’on exerce son esprit critique.

- Comparaison rapide avec Voltaire (éventuellement Jaucourt)

- L’esclavage aujourd’hui.

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